Parmi les milieux les plus inhospitaliers de la planète, la banquise est peut-être celle qui nous semble la plus connue. Il faut dire que les pôles sont particulièrement vulnérables face aux bouleversements environnementaux et que la banquise est devenue l’image phare du réchauffement climatique.
Une étendue de glace qui recule année après année, au détriment d’une multitude d’espèces. Car la banquise est loin d’être un lieu désert. Plantes, animaux et hommes s’y sont établis depuis des siècles et on a appris à vivre dans un milieu où bien peu de conditions étaient pourtant réunies pour assurer leur survie.
La banquise très simplement, c’est de l’eau de mer gelée. Elle est donc salée et apparaît aux extrémités de notre planète lorsque les températures atteignent les -1,8 degrés.
C’est à l’extrême nord de la Terre, au cœur de l’Arctique, que se concentre la plus large partie de la banquise, la région n’étant composée que de 30 % de terres pour 70 % d’océan. L’Arctique s’étend sur 6 pays au total, la Russie, la Norvège, le Danemark, le Canada, les États-Unis et l’Islande, et abrite une biodiversité riche à la fois sous ses eaux glacées et sur ses terres enneigées.
Au printemps et en été, la banquise dite saisonnière disparaît en partie avec la hausse des températures, facilitant le passage de la lumière dans l’eau. En conséquence, les algues et le plancton prolifèrent pour attirer de nombreuses espèces animales allant des petits poissons jusqu’aux grands mammifères marins.
Et puis lorsque l’hiver marque son retour, les couches de glace se soudent à nouveau pour reformer la banquise qui peut alors augmenter jusqu’à atteindre son maximum, autour de 15 million de km².
La banquise dite pérenne en revanche n’est pas censée fondre au cours de l’été. Épaisse de 3 à 4 mètres, elle est généralement vieille de plusieurs années et abrite une biodiversité florissante parmi lesquelles de nombreuses populations humaines (inuits, samies, yakoutes…) et des grands prédateurs comme le phoque annelé et l’ours polaire. D’autres animaux marins préféreront plutôt migrer vers des régions plus chaudes en quête de nourriture. C’est le cas du morse notamment.
Caractérisé par ses vastes étendues planes malgré quelques paysages alpins, l’Arctique profite des saisons estivales pour se couvrir d’une végétation atypique, composée de mousses, de lichens et de plantes de petite taille. C’est la toundra, reconnaissable également à son sol gelé en permanence même lorsque les températures sont au plus haut. Un peu plus loin, la naissance d’épaisses forêts de conifères marque le début de la taïga.
À quelques 20 000 kilomètres de là, nous atteignons le Pôle Sud et l’Antarctique, vaste continent montagneux recouvert à 98% d’une calotte glaciaire bordée par l’océan Austral. Avec des températures dégringolant parfois jusqu’à – 80 degrés, c’est la zone la plus froide de notre planète. Il faut dire qu’ici, l’altitude est parfois élevée sur la terre ferme (le mont Vinson s’élève à 4892 mètres au-dessus de la surface) et le pouvoir réfléchissant de la glace est extrêmement important.
Majoritairement exploité pour la recherche scientifique, l’Antarctique n’abrite en revanche que peu de vie sur ses terres (inlandsis) mais bénéficie d’un environnement marin extrêmement riche.
Souvent confondues, la banquise et la calotte glaciaire présentent pourtant des caractéristiques tout à fait différentes. Majoritairement répartie sur l’Antarctique, ce que l’on appelle calotte glaciaire est en réalité un glacier colossal composé de neige tassée. De l’eau douce donc, comme pour tous les glaciers du monde, et dont l’épaisseur augmente ou diminue selon les années pour atteindre à certains endroits plus de 4000 mètres de haut.
À la différence de la banquise qui flotte sur l’eau, la calotte glaciaire recouvre toujours un continent, sa surface totale en Antarctique étant d’environ 14 millions de km². Si la fonte de la banquise ne participe pas à la montée des océans du globe, c’est en revanche la fonte de la calotte glaciaire qui inquiète puisque celle-ci entraîne l’écoulement d’une quantité extraordinaire d’eau douce. Avec pour conséquence l’augmentation du volume des eaux de la planète, et une importante modification des courants.
La banquise en revanche, comme nous l’avons évoqué, dérive de la congélation de l’eau de mer de surface. Avec la chute des températures, de fines paillettes de cristaux de glace apparaissent sur les flots. C’est le frazil. Aidé par la force des vents et des courants, il se rassemble en une fine couche avant de s’épaissir progressivement. La banquise continuera ensuite à s’accroître avec les années grâce aux précipitations neigeuses et à l’eau de mer projetée par les vagues, du moins si les températures globales lui en laissent la possibilité.
Certaines années, les conditions particulières des océans et les vents forts participent à modeler la banquise jusqu’à former de gigantesques trous étendus parfois sur plusieurs milliers de km². Ce sont les polynies, largement appréciées par les phoques et les baleines qui profitent de ces oasis éphémères pour se reposer et rassembler un peu d’air avant de replonger sous les flots.
L’eau à l’état solide compte pour 98,5% des réserves d’eau douce de notre planète. Autrement dit, les glaces réparties tout autour du globe sont d’une importance cruciale pour le cycle de l’eau mais pas seulement.
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Le climat actuel tel que nous le connaissons repose sur un ensemble de facteurs naturels au sein desquels la circulation océanique occupe un rôle de premier plan. Par les courants de surface et de profondeur, la chaleur issue des tropiques est distribuée progressivement jusqu’aux pôles de notre planète.
Tout au long du processus, la banquise se chargera d’eau douce issue des précipitations, une eau douce qui viendra modifier la salinité de la surface océanique lors de la fonte. Associées aux nombreux flux marins et à la force du vent, des masses d’eau douce et salée se déplacent et se mêlent ainsi en permanence.
En d’autres termes, les pôles sont indispensables à l’équilibre des courants océaniques et par extension à la régulation du climat à l’échelle du globe.
Le rôle de l’Antarctique est ici d’autant plus important que le continent possède son propre courant, le courant circumpolaire Antarctique. Le plus puissant de la planète. Long de 24000 km, il représente environ 20 % de la surface totale de l’océan mondial et reçoit sa chaleur des différents courants issus des océans Atlantique, Pacifique et Indien.
D’un autre côté, la blancheur éclatante de la banquise et des glaciers contribue largement à réfléchir les rayons brûlant du soleil. Cela permet à la banquise de résister aux mois les plus chauds mais plus encore, cela contribue à maintenir sur Terre des températures vivables. C’est ce que l’on appelle l’albédo. Tandis que l’eau libre absorbe environ 90 % de la chaleur, la glace en réfléchit au contraire une proportion égale, agissant ainsi comme un vrai climatiseur pour la planète.
Fragile et réduite de moitié en été, la banquise devient un véritable lieu de vie, de chasse et de pêche durant les saisons froides pour une multitude d’espèces animales et de populations humaines. Une vie entièrement dépendante de la stabilité de la banquise, à l’image de l’ours polaire qui vit en Arctique et que l’on ne retrouve nulle part ailleur sur la planète.
L’Arctique, c’est un ensemble d’écosystèmes tantôt terrestres, tantôt d’eau douce et marin, où les saisons ne ressemblent en rien à ce que nous connaissons. Jour continu en été, nuit polaire en hiver, glace permanente, vents violents, les conditions de vie difficiles n’ont pas freiné le développement de la faune et de la flore. Bien au contraire.
Chaque année dans le Grand Nord, le retour du printemps avec sa luminosité plus forte entraîne la prolifération de bactéries et d’algues planctoniques sous la surface, au coeur même de la banquise. De quoi aider le krill à se développer et avec lui une multitude de petits invertébrés et de consommateurs des étages supérieurs de la chaîne alimentaire, dont l’équilibre tout entier repose sur la présence de ce microscopique invertébré aux allures de crevette.
Un équilibre malheureusement mis en péril par la hausse des températures des océans qui entraîne une prolifération de plus en plus précoce et un vrai déséquilibre entre proies et prédateurs.
Des larves de poisson aux poissons adultes jusqu’aux mammifères marins, nombreuses sont les espèces à puiser leurs ressources dans les eaux froides riches en nutriments. De cette activité intense se formeront de nombreux débris qui glisseront vers le fond des océans, offrant un peu de matière organique aux écosystèmes des profondeurs.
La présence du plancton ralentit lorsque revient l’hiver et les êtres vivants doivent alors chercher d’autres formes de nourriture. Ceux qui n’auront pas pris soin d’accumuler des réserves de graisse dans leur corps comme le font certains crustacés iront grignoter les petits organismes qui auront proliféré au cours de l’été. Si elle est plus limitée, la photosynthèse ne s’interrompt jamais totalement, les organismes polaires ayant développé la faculté de s’activer même en cas de très faible luminosité.
De manière générale, on constate que les écosystèmes liés à la banquise abritent beaucoup moins d’espèces différentes que la plupart des autres régions du globe. Les populations présentes étonnent en revanche pour la plupart par leur nombre extraordinaire. Sous les flots par exemple, la morue, le colin ou le flétan des eaux polaires rassemblent la vaste majorité de leur biomasse mondiale.
Un festin de choix pour le béluga, la baleine du Groenland, le narval ou le phoque annelé, reconnaissable aux taches en forme d’anneau visibles sur sa fourrure.
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Le morse de son côté, que l’on retrouve tour à tour au fond des eaux froides à la recherche de nourriture ou bien agglutiné par milliers sur les plages préfèrera largement les crustacés et les petits poissons tels que le hareng.
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Colonisée par un large éventail d’animaux de toutes sortes, la banquise reste toutefois le royaume permanent de l’ours polaire, véritable symbole de l’Arctique là où la plupart des autres êtres vivants n’y sont que de passage.
Orques, cachalots, baleines à bosse ou baleines bleue entreprennent ainsi de longs voyages vers le Sud au sortir de l’hiver pour regagner les eaux plus fraîches de l’Antarctique.
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D’autres au contraire comme des millions d’oiseaux migrateurs notamment ont fait de l’Arctique leur résidence estivale. Attirés par le soleil qui ne se couche jamais et l’abondance de la nourriture, ils sont plusieurs centaines à s’y reproduire à l’image du pétrel et de la sterne arctique, considérée comme l’oiseau migrateur par excellence. Chaque année, elle parcourt environ 35 000 km pour relier l’Arctique à l’Antarctique afin de profiter tour à tour des périodes d’ensoleillement et des ressources de chacun.
Dans une région arctique vidée de la plupart de ses habitants, seuls quelques rares espèces oseront braver l’hiver. Le grand corbeau et la mouette ivoire par exemple mais aussi le caribou, le boeuf musqué, et le lièvre arctique, nichés non pas le long de la banquise mais au cœur reculé de la toundra. En dépit de la pauvreté nutritive de la terre, celle-ci est en effet le théâtre d’une vie florissante.
Du sol globalement gelé en permanence ont jailli une multitude de mousses, de lichens et de petits arbrisseaux. Les conditions climatiques particulières empêchent toutefois les espèces végétales de s’élever à plus de quelques centimètres au-dessus du sol. Le saule arctique est ainsi connu pour être l’un des plus petits arbres au monde et aussi l’un des plus résistants. Une source de nourriture essentielle pour les lemmings où puiseront par la suite la chouette harfang et le renard arctique capable de survivre à des températures avoisinant les -50 degrés.
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Malheureusement, la fonte des neiges prive le lemming de l’isolation thermique essentielle à sa survie, mettant en péril celle de tous les prédateurs qui lui sont associés.
Une faune et une flore que l’on ne retrouve pas du côté du pôle Sud, bien que la péninsule Antarctique plus tempérée permette le développement d’une rare végétation. Le continent abrite pourtant sa part d’espèces, endémiques le plus souvent. Difficile par exemple de ne pas penser au phoque ou au léopard de mer, connu pour être l’un des plus redoutables prédateurs de l’Antarctique ou bien encore au manchot présent sur le continent sous de nombreuses espèces. Manchot empereur, manchot Adélie avec ses impressionnantes colonies de plusieurs millions d’individus, gorfou sauteur reconnaissable à ses sourcils jaunes indispensables durant la parade nuptiale.
Autant d’espèces qui ont rivalisé d’ingéniosité afin de résister même aux conditions climatiques les plus rudes. Les plus étonnantes, telles que le poisson des glaces, ont littéralement débarrassé leur sang de son hémoglobine afin d’empêcher toute forme de coagulation. Le sang apparaît alors parfaitement blanc.
Sous la surface également, d’autres petits crustacés ont considérablement ralenti leur métabolisme pour mieux résister aux basses températures, au point parfois de n’atteindre leur maturité sexuelle qu’au bout de deux ans. Quant aux plantes, nous les retrouvons quasi systématiquement au ras du sol, serrées en coussins ou en tapis voire protégées du gel par certains creux du sol.
Mais les températures sont de plus en plus douces aux pôles de notre planète. La banquise a reculé de 146 000 km² par jour au cours de la première semaine de juillet 2020, soit deux fois plus vite que le rythme moyen à cette période. D’une superficie de 7,5 millions de km² dans les années 80, certains scénarios précisent d’ores et déjà qu’elle pourrait ne plus dépasser les 520 000 km² d’ici à 2050.
En cause, le réchauffement climatique, deux fois plus important en Arctique que dans n’importe quelle autre région du monde. Certaines espèces parviennent à en tirer profit comme le font de nombreux oiseaux migrateurs pour qui les voyages sont de moins en moins difficiles et dont les colonies sont en constante augmentation dans les milieux polaires.
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Mais les espèces endémiques plus rares et plus fragiles telles que l’ours blanc ne disposent pas d’une telle flexibilité. Indissociable de la banquise, la mouette ivoire a déjà vu ses effectifs réduits de 90% en une vingtaine d’années et pourrait être la première espèce arctique à avoir totalement disparu. Sous les flots, les petits crustacés habitués aux eaux très froides sont désormais beaucoup plus petits, ce qui pousse les prédateurs à en chasser davantage.
Le narval de son côté, déjà fragilisé par la chasse et les pollutions des eaux liées aux activités humaines, doit composer avec des voies d’accès à la nourriture partiellement modifiées, du fait de l’instabilité des glaces.
Fait étonnant, il semble que la banquise antarctique progresse depuis quelques années. Elle couvre en effet des surfaces de plus en plus étendues, au point d’avoir atteint en mai 2020 des seuils équivalents à ceux observés dans les années 80. Pas de quoi en conclure un ralentissement du réchauffement climatique pourtant. L’avancée de la banquise antarctique est en partie due à l’augmentation des précipitations pluvieuses qui rafraîchissent certes les eaux environnantes mais qui augmente le ruissellement des glaciers, modifiant la composition des différentes couches de l’océan.
En parallèle, la calotte glaciaire recouvrant le Groenland a largement commencé à fondre entraînant la hausse du niveau des mers et altérant progressivement les courants. C’est pourtant à celui du Gulf Stream que nous devons notre climat tempéré.
Désormais, les navires circulent librement dans les eaux froides du globe là où ils auraient été piégés par les glaces il y a quelques années, tandis que la biodiversité du sud de l’arctique se déplace désormais vers le nord face à la fragilisation de la banquise. Alors les ours se rapprochent des villages, les rennes sont exposés à un risque de noyade et les épaulards colonisent des régions qui leur étaient encore inconnues il y a peu.
Les zones plus éloignées des côtes n’échappent pourtant pas au phénomène de verdissement. Arbres et buissons de grande taille apparaissent désormais fréquemment dans la toundra tandis que les épaisses forêts de conifères de la taïga perdent de leur stabilité face à la fonte du pergélisol. Une fonte responsable à son tour du relâchement d’importantes quantités de gaz à effet de serre.
Sur la banquise, l’algue des glaces d’ordinaire verte s’est teintée de pourpre sous l’effet du réchauffement climatique. Le phénomène s’observe depuis longtemps un peu partout sur la planète mais survient de plus en plus tôt, et sur une surface de plus en plus étendue. Devenue par endroits rouge sang, la banquise perd largement de son pouvoir réfléchissant. Aussi elle fond un peu plus vite, à la fois par le haut sous l’effet de l’air plus doux et par le bas, du fait de la hausse des températures de l’océan.
Et malgré tout, les pressions humaines ne faiblissent pas. L’arctique à lui seul renfermerait 13% des ressources non découvertes de pétrole tandis que la surpêche et la pêche illégale pèsent déjà lourd sur les populations de saumon.
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Régulièrement aperçu affaibli et amaigri dans l’actualité, l’ours blanc ou ours polaire est pourtant l’un des plus grands prédateurs terrestres. Sa peau étonnamment noire est une manière pour lui de conserver sa chaleur corporelle tandis que son pelage blanc est un excellent camouflage en période de chasse. Grand amateur de phoques et de petits poissons, l’ours polaire s’est adapté à la natation et est désormais aussi à l’aise sur la banquise que dans l’eau.
Seulement voilà, la banquise recule et avec elle le lieu de vie et de reproduction du grand mammifère. Il ne resterait aujourd’hui que 20 000 à 25 000 ours blancs en Arctique, la plupart regroupé autour des régions polaires canadiennes. La diminution de la banquise impose à l’espèce des périodes de jeûne toujours plus longues et des excursions dans l’eau de plus en plus fréquentes.
Phénomène tout aussi inquiétant, les substances toxiques s’étendent dans les océans, des substances consommées par tous les maillons de la chaîne alimentaire. L’ours situé tout au sommet de la pyramide accumule ainsi d’importantes quantités de poisons dans son organisme.
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De lourdes menaces qui pèsent aussi sur le narval ou le morse, qui ont tous deux rejoint la liste des espèces à risque.
Si la prise de conscience est en marche, on estime désormais que le réchauffement climatique aura de toute façon des conséquences irréversibles sur la banquise. L’enjeu pour les années à venir sera d’en limiter au maximum les bouleversements. Une vraie question de survie pour les populations locales et les espèces de la banquise, qui devront dans tous les cas faire à nouveau appel à leurs formidables capacités d’adaptation.