À la différence des champs, des prairies ou des forêts dont les services rendus à l’Homme sont depuis longtemps reconnus, le marécage comme toutes les formes de zones humides souffre d’une mauvaise réputation. Considérés comme insalubres et improductifs, on commence seulement à réaliser leur rôle essentiel en termes de gestion de l’eau douce ou de stockage du carbone notamment.
Dans ces écosystèmes fragiles où la vie s’est développée au rythme de l’eau vivent certaines espèces animales parmi les plus rares de la planète et des plantes tout à fait étonnantes, résultats de longues années d’adaptation.
On parle généralement de zones ou de terres humides pour désigner des étendues d’eau lente ou stagnante, permanentes ou temporaires. Des zones à faible relief, dont la profondeur n’excède pas plus de quelques mètres.
L’appellation «terres humides» englobe de nombreux écosystèmes différents, reconnaissables à leur géographie, à la nature de leurs eaux et à la biodiversité qui s’y est développée. On les répartira le plus souvent en trois grands groupes principaux.
Les milieux humides continentaux d’eau douce
Ce sont les marais et les marécages, les tourbières, les mares naturelles, les prairies et les forêts humides mais aussi les rives des lacs et des cours d’eau.
Les milieux humides situés en bordure des côtes
L’eau y est salée ou saumâtre (teneur en sel inférieure à celle de l’eau de mer). On y retrouve les estuaires, les deltas, les étangs, les vasières ou encore les mangroves. Ce sont aussi les lagunes, reliées à la mer de manière occasionnelle ou permanente.
Les milieux humides artificiels
Il s’agit des zones aménagées par l’Homme telles que les canaux, les marais salants, les bassins d’agrément, les retenues ou les réservoirs d’eau destinés à l’agriculture. Certains d’entre eux, aménagés dans nos jardins pour le simple plaisir des yeux, suffisent à attirer une biodiversité très riche.
À l’échelle mondiale, les zones humides s’étendent sur environ 12,1 millions de km². Tourbières et marécages se retrouvent sur à peu près tous les continents excepté l’Antarctique, le plus important marécage au monde étant situé aux abord du fleuve Amazone et abritant un vaste éventail de plantes et d’espèces animales particulières.
La flore par exemple s’y divise entre :
Les terres humides faisant généralement le lien entre les écosystèmes terrestres et aquatiques ou marins, on parlera généralement d’écosystèmes associés. Les mangroves par exemple participent à retenir les sédiments issus de l’érosion et à maintenir une eau claire, indispensable à la survie des récifs coralliens qui ont besoin de lumière et de la photosynthèse pour se développer.
Dans ces écosystèmes à part, l’eau, la nature particulière des sols et la végétation caractéristique constituent trois éléments essentiels. Et parmi eux, les marais, les marécages, les mangroves et les tourbières sont de loin les milieux humides plus riches en biodiversité.
Nichée généralement au creux des massifs montagneux de moyenne et haute altitude, bien que certaines s’étendent le long des zones côtières et des bassins versants, la tourbière se caractérise par la présence d’eau de manière continue. Là, au ras du sol, l’oxygène est totalement absent et les organismes décomposeurs tels que nous les rencontrons dans les autres écosystèmes ne peuvent se développer.
Sans le travail des champignons et des bactéries, les végétaux morts non décomposés s’accumulent en un dépôt noirâtre, couche après couche, sur des milliers d’années. C’est la tourbe.
En Europe, les tourbières les plus anciennes existaient déjà il y a environ 12 000 ans et ont eu le temps d’accumuler plus de 10 mètres de tourbe. En fonction de leur localisation, ce sont parfois les ruisseaux situés en amont qui alimentent les tourbières mais c’est avant tout l’eau de pluie, très acide et pauvre en minéraux, qui influera sur la végétation et la production de tourbe.
Malgré des conditions de vie à première vue difficile, la biodiversité des tourbières est absolument stupéfiante. Les mousses, ou sphaignes, peuvent retenir jusqu’à 20 fois leur poids en eau et prolifèrent en nombre aux côtés des fougères, des laiches, des orchidées ou des plantes carnivores, grandes amatrices des nombreux insectes évoluant sur les lieux.
Plutôt froides la plupart du temps, les tourbières font le bonheur des reptiles et des batraciens, lézard vivipare, crapaud commun, grenouille agile… Celles-ci se rencontrent encore en redescendant dans les vallées alluviales, le long des plaines humides, des roselières et des marais plats alcalins par exemple tels que l’on en rencontre en France dans la Marne et la Loire Atlantique.
Composés d’un ensemble d’étangs et d’étendues d’eau diverses, les marais se distinguent des tourbières en ce qu’ils connaissent chaque année une période d’assèchement. On y distingue généralement :
Roseaux, quenouilles et autres plantes herbacées y croissent en abondance. Et puis la végétation se fait plus dense, les plantes de petite taille cèdent la place aux arbres et aux arbustes. Nous atteignons les marécages, très difficiles à définir tant le terme englobe d’écosystèmes différents. C’est ici notamment que l’on croise la tortue alligator, plus grosse tortue d’eau douce de la planète, qui a élu domicile dans les cours d’eau et les marécages situés au centre et à l’est des États-Unis.
En nous approchant encore un peu plus du littoral, la vasière se pare quelquefois d’un épais couvert forestier propice au développement d’une vie particulièrement riche. Ce sont les mangroves, largement colonisées par les oiseaux d’eau douce et les oiseaux marins (hérons, poules d’eau…).
Typiques des régions tropicales, les mangroves sont à la fois sous l’influence des écosystèmes terrestres (apport de nutriments et de sédiments par les courants d’eau douce) et des processus côtiers (cycle des marées).
Dans le sol boueux et instable globalement privé d’oxygène, les palétuviers et autres arbres caractéristiques ont dû développer d’étonnantes facultés d’adaptation. C’est le territoire des racines échasses en forme d’arceaux destinées à offrir une meilleure stabilité à la flore, et des mécanismes de filtrage essentiels pour empêcher le passage du sel.
Longtemps perçue à tort comme un milieu très pauvre, on sait aujourd’hui que la mangrove est le lieu de vie ou de passage d’une foule extraordinaire d’animaux. Au-delà des oiseaux migrateurs, on y retrouve aussi toutes sortes de reptiles, quelques singes tels que le ouistiti pygmée qui reste toujours à faible distance d’un point d’eau et même des antilopes adaptées à ces conditions de vie particulière.
Sous les eaux évoluent des lamantins, des crevettes ou des poissons-scie, fréquemment mis en danger par la destruction de leur habitat, mais aussi de redoutables prédateurs tels que le crocodile américain. Forcé de s’exposer régulièrement au soleil pour emmagasiner un maximum de chaleur, on le retrouve aussi du côté de certains estuaires et des lagunes côtières.
Des milieux très semblables en quelque sorte et pourtant si reconnaissables notamment de par leur flore particulière et la quantité d’eau stagnante qui y est retenue.
À l’échelle de notre planète, c’est près de 15% de la population mondiale qui dépend des marécages et autres zones humides que ce soit pour l’élevage, la pêche en eau douce, ou bien la chasse. On estime désormais que près de 2 poissons sur 3 consommés par l’Homme proviennent des zones humides, et que la survie d’un oiseau sur deux en dépend.
La biodiversité y est en effet particulièrement remarquable. Oiseaux, poissons, amphibiens la plupart du temps en voie de régression ou exigeant des conditions de vie très spécifiques trouvent dans les zones humides de quoi se nourrir, se protéger et se reproduire.
Bon nombre des espèces animales et végétales évoluant dans les tourbières, les mangroves ou les marécages ne pourraient survivre nulle part ailleurs. L’omniprésence de l’eau de son côté permet le maintien d’une activité biologique parmi les plus importantes au sein des écosystèmes de la planète.
D’autre part, l’alternance de l’eau et de la végétation que l’on rencontre dans les zones humides offre une formidable protection contre l’érosion des sols. La flore fixe ainsi les berges et ralentit l’écoulement des eaux de manière à limiter les crues et à recharger les nappes souterraines. L’eau ainsi retenue pourra être redistribuée au cours des saisons les plus sèches.
Une eau généralement débarrassée de ses impuretés, la végétation des milieux humides faisant office de filtre naturel. Les roseaux et les scirpes par exemple, avec leur longue tige et leurs feuilles caduques, ont la capacité de retenir les métaux lourds toxiques et les divers résidus de fertilisants. L’eau traversant les milieux humides ressort ainsi parfaitement propre à la consommation.
Les tourbières remplissent d’ailleurs des fonctions particulièrement essentielles puisqu’elles participent aussi au stockage du carbone et à la lutte contre le réchauffement climatique. Les tourbières couvrent seulement 3% de la surface terrestre mais stockent davantage de carbone que toutes les forêts réunies.
Au total, la tourbe accumulée depuis des millénaires aux quatre coins du globe contiendrait environ 500 gigatonnes de carbone soit 70 ans d’émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Très riche en composés carbonés, la tourbe une fois extraite offre également un excellent fertilisant pour les cultures, du fait de sa très lente dégradation.
Joncs, iris, massettes, nymphéas, les milieux humides donnent lieu comme nous l’avons vu à une végétation tout à fait spécifique. Mais ces écosystèmes à part ne sont pas éternels. Étangs, mares, marais sont progressivement amenés à se combler au fil du temps sous l’effet des couches successives de sédiments et du développement progressif de la végétation.
La dégradation des déchets végétaux et animaux par les bactéries permet en effet d’enrichir les eaux en éléments nutritifs. Alors les algues prolifèrent et avec elles d’autres plantes aquatiques qui donneront lieu à une accumulation de débris végétaux. C’est ce que l’on appelle l’envasement.
Les marais et les autres étendues d’eau similaires finissent à terme par disparaître totalement pour ne laisser la place qu’à un sol saturé en eau. Le processus est lent, et façonne avec lui la biodiversité à chacune de ses étapes.
Du fait de la présence de l’eau, la production primaire effectuée par la végétation est 3 à 8 fois plus importante que celle d’une forêt tropicale, pourtant reconnue pour être particulièrement fertile. Se met ainsi en place une chaîne alimentaire complexe, basée sur l’interdépendance entre les végétaux et les animaux.
Les herbivores se nourrissent des plantes avant d’être consommés à leur tour par les espèces carnivores, les variétés de fruits ont la capacité de flotter ou de germer sur leurs branches afin de mieux s’ancrer sur le sol une fois tombés de l’arbre. Un seul maillon du cycle viendrait à disparaître et ce serait tout l’équilibre qui serait rompu.
Et pour maintenir cet équilibre, la faune et la flore des milieux humides a pris soin de développer des mécanismes extraordinaires. Certaines plantes se sont associées à des champignons afin de mieux absorber l’eau et de résister aux maladies, d’autres ont intégré à leur système racinaire des bactéries capables de fixer l’azote déjà dissous dans l’eau.
Certains animaux à sang froid tels que la vipère péliade et le lézard vivipare ont cessé de pondre des œufs dont le développement serait rendu difficile par la tourbe, mais donnent plutôt naissance à des petits déjà entièrement développés. Le sang de la vipère péliade contient même certaines substances antigel grâce auxquelles elle peut rester active durant les gelées matinales pouvant survenir même en été.
Quant à l’azuré des mouillères, il se laissera tomber au sol encore à l’état de chenille où il secrétera une substance similaire aux phéromones émises par certaines espèces de fourmis. Convaincues d’avoir croisé un membre de leur colonie, les fourmis emporteront la chenille jusque dans la fourmilière, aux côtés des larves de fourmis. Là les ouvrières la nourriront sans se douter du stratagème, délaissant même parfois leurs propres larves, jusqu’à ce que la chenille se transforme en chrysalide puis en papillon. Le chemin de retour ne sera pas facile mais le papillon parviendra à s’extraire de la fourmilière, donnant lieu à un nouveau cycle.
Un procédé fragile, entièrement dépendant de la survie des fourmis et de celle de la plante-hôte dans laquelle le futur papillon passera ses premières semaines en tant que chenille : la Gentiane Pneumonanthe.
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Et malgré tout, la survie des populations des zones humides n’est plus acquise. Au cours des siècles passés, bon nombre de marais et de marécages ont été drainés et asséchés afin de permettre la mise en place de nouvelles cultures ou d’éviter la transmission de maladies telles que le paludisme, dont sont parfois porteurs certains insectes.
Combinés à une exploitation forestière intensive, à l’urbanisation ou à la construction de canaux et de barrage, ce sont au total 87% des milieux humides de la planète qui ont disparu en l’espace de trois siècles et le déclin s’accélère encore au point de surpasser le rythme de la disparition des forêts.
La déforestation et la destruction des zones humides met d’ores et déjà en péril de nombreuses espèces animales telles que le cobra royal, le loup rouge, le chat à tête plate, le aye-aye ou le nasique, petit primate endémique de l’île de Bornéo qui vit généralement dans les mangroves et les forêts humides.
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Déjà menacé par la déforestation massive, le ara hyacinthe doit également faire face au braconnage. Sur certains marchés, il se vendra à prix d’or en tant qu’oiseau d’ornement du fait de sa grande taille et des couleurs chatoyantes de ses plumes.
Ailleurs sur la planète, c’est aussi la salamandre géante de Chine qui est désormais pratiquement introuvable à l’état sauvage depuis que sa viande est devenue un plat de luxe ou le mérou, décimé dans les mangroves sous le coup de la surpêche.
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Au Bangladesh, dans la plus vaste forêt de mangroves au monde, on ne recense déjà plus qu’une centaine de tigres du Bengale tandis que l’hippopotame que l’on retrouve dans les rivières et les lacs de l’Afrique subsaharienne connaît un déclin alarmant du fait de la diminution de son habitat ou de la chasse à l’ivoire.
Censé partager un ancêtre commun avec la baleine, l’hippopotame aurait perdu près de 95% de ses populations ces vingt dernières années et l’on estime que l’espèce pourrait s’être éteinte d’ici 30 à 40 ans.
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À l’heure du réchauffement climatique, la destruction de la tourbe a également pour conséquence le relâchement dans l’atmosphère du CO2 jusque-là stocké. Certaines espèces sont d’ailleurs directement menacées par la hausse des températures à l’image du renard volant, caché dans les mangroves et les forêts humides australiennes notamment, et dont plusieurs milliers d’individus sont morts en l’espace de trois jours l’année dernière, lors d’un pic de chaleur à 43°C.
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Pire encore, les sécheresses progressent à travers le globe, donnant souvent lieu à d’immenses incendies tels que ceux qui ont ravagé la Sibérie ces dernières années. Des incendies rampants jusque dans les couches inférieures des tourbières, et particulièrement difficiles à éteindre du fait de leur profondeur.
Rien qu’en France, 50 à 75% des tourbières ont été détruites ou fortement dégradées ces dernières décennies, que ce soit pour l’exploitation industrielle dévastatrice pour les écosystèmes, la mise en place de nouvelles infrastructures le long des étendues d’eau ou bien les pollutions diverses qui accélèrent le processus d’eutrophisation.
Il faut dire que les sources de pollution se multiplient avec le rejet croissant des eaux usées domestiques peu ou pas traitées associé de plus en plus à la présence de substances d’origine chimique ou pharmaceutique, catastrophiques pour les écosystèmes même à très faible dose.
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De quoi favoriser l’installation de germes pathogènes dans des milieux fragiles et entraîner des bouleversements très difficilement réversibles.
Autrefois jugées nuisibles, aujourd’hui considérées comme essentielles, les zones humides dont font partie les tourbières, les mangroves et les marécages sont nécessaires à la survie d’un nombre colossal d’espèces animales et végétales. Ces dernières années, ce sont les milieux humides artificiels qui ont gagné du terrain dans les villes et les jardins, et qui ont su développer puis entretenir une biodiversité elle aussi extrêmement riche. Des mesures efficaces mais qui ne devront exister qu’en soutien de la préservation des zones humides naturelles, dont le fonctionnement et les services écologiques offrent des ressources inestimables.